Il n’y a que l’œuvre. Qu’est-ce qui est loin ? Nous n’attendons rien. Tout est là. L’œuvre est là. Le texte de Bessette est là, et ce que nous faisons vibrer à partir du texte et en dehors de lui. Notre histoire se raconte. Nous la trouvons si belle. C’était il y a des siècles. L’histoire arrive en sensations, en sons, en abandons, dans le mouvement, dans la parole. Je l’ai poussée. Je voulais qu’elle aille plus loin. Je sentais qu’il me poussait. L’air était très dense entre lui et moi. Puis elle me regardait. C’était comme toujours. Nous projeter dans un autre espace. Rien besoin de faire d’autre que regarder. D’où vient l’émotion. Comme une lame de fond. Elle murmurait. Les trains passaient. Aucun projet sur le mot. Aucune intention. La parole est délivrée. Elle allait où la parole la menait. Se retrouvant en avant scène, corps oblique. Détente totale. Quelque chose t’a déstabilisée. Une vague. À plusieurs reprise. Ça a commencé quand je parle de l’absolution du silence et de l’eau. La vie n’est pas gâchée. C’est donc possible de tout réparer. L’harmonie n’a pas gagné aujourd’hui. Dans l’absolu. Tout a sauté. Vouloir Panama. Tout de suite. Les larges avenues claires de Panama. Oublié le trait, le blanc, le lecteur, l’université. Adieu. Puis, l’écoute, plus sensible, plus délicate. Une proximité inédite, dans l’espace y compris. C’était réel. Le réel. Quand la vague se retire, elle me laisse sur une plage, de plein pied avec le réel, et la voix le dit, mais il n’y a plus aucun effort. La voix trace son chemin toute seule. Et la flûte l’accompagne. Volubile. Habile. Ces longs traits qui me lancent dans ce qu’il y a de tragique. Je pourrais le dire autrement, mais les traits musicaux, des offensives, qui me dirigent vers le tragique. C’est angoissant ? Peut-être, mais ce n’est pas sans jubilation. C’est comme sauter. Et ce soir, le mistral est là. Il est dans cette continuité. Nous avons traversé, la ville, de part en part, toujours à l’envers, et tout était fermé, arrivant trop tard, trop tôt. Dans les jardins de l’université, un chat nous a recueillis, venu immédiatement, se caresser, se blottir, un corps de l’un, un corps de l’autre, comme très informé de ce qu’il avait à faire. On nous disait : « C’est le chat de l’université ». Il était sale. Un chat chercheur-associé. Peut-être agrégé. Lui savait qui était Bessette. Une oubliée. Inoubliable. On le disait partout. Hélène Bessette. Vous connaissez Hélène Bessette ? Elle traverse le Pacifique, s’isole, s’informe, nourrit, publie, écrit, parle, discute, plonge dans l’inconnu, pendant que tout se répare, dans l’autre monde. Les ruines puissantes, la volonté de nuire. De l’autre côté de l’équateur. Ce n’était pas suffisant. Il faudrait encore un retour, il faudrait le Havre, il faudrait les cheminées grises, il faudrait les ruines, il faudrait les campagnes dégarnies, la séparation, pour épuiser l’écriture. Qu’est-ce qui s’épuise ? Il me semble que Bessette a travaillé comme Beckett. À épuiser les possibilités. Elle épuise les hypothèses. Donc, il n’y a qu’une seule version du dire. Un seul mot. La note juste.

7/07/2018

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