Trois personnes. Trois spectateurs. Un danseur. Deux actrices, lectrices de Bessette. Le danseur est déjà dans le monde de Bessette. Il connaît Sacha, Jeffers, Joris et Emera. Il sait pourquoi Joris n’épousera pas Emera. Il a découvert Bessette dans son salon. En lecture à haute voix. J’avais lu tout un chapitre. Le premier chapitre. Il avait tout de suite parlé d’image, et de rythme, et de mouvement, d’écriture, d’une condensation incroyable d’histoires en quelques pages, tout ce qui se passe en quelques pages de La Route bleue, l’un des premiers romans poétiques. Dans ce couloir d’espace que je dessine chaque jour, c’est son regard en premier que je rencontre, que je ne vois pas mais que je sais, avec la douceur, l’autorité, la profondeur, comme toujours porté très loin, regard précis, déterminé. Ce même regard que j’admire en le voyant danser le lendemain dans Vivace à la Parenthèse, un regard toujours adressé, et qui ne se soumet pas. Dans ce couloir d’espace, je me laisse gagner par différents états de corps. Revenant chaque fois différente. Il dira ensuite avoir navigué entre des moments où il était avec le texte et des moments où il me voyait, moi, dans mon corps, mon histoire, mon intimité. C’est plus que ça. C’est la justesse de ta parole qui le conduit à écouter autrement, à écouter dans le texte une autre forme d’écriture. Il dira ensuite avoir choisi de me quitter pour te voir toi, seul, choisi de perdre quelque chose du texte pour te rejoindre toi. C’était toujours ambivalent, ce désir de choisir ce qu’il regardait, d’y avoir pensé, de ne pas l’avoir fait, et que ça ne le dérangeait pas. Comme notre entrée en scène, soudaine, sans transition, sans sas de mise en place. Il l’a vu, comme il a perçu les deux ouvertures vers le silence. Le silence est musique, habité, vécu. Le silence n’est ni un vide, ni une absence de son. Je mène peu à peu au silence, grâce aux mots, aux thèmes. Nous fabriquons ensemble des formes inédites de silence. Je me souviens aussi des rires légers qui fusent des deux spectatrices, en complicité étroite avec le texte de Bessette, comme si elles dégustaient quelque chose qu’elles aiment beaucoup. Le récit, plus léger. Je voyais tout ce qui se disait, tout ce qui se passait. C’était d’une clarté totale. Le garçon est sur la route. Emilie, dans la voiture, s’en va. Et la pluie. La pluie qui délivre d’un amour impossible.
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