Relâche. Nous l’avions décidé, de travailler pour nous, seuls. De faire Balade pour nous, seuls. Tu veux être dans la salle. Entendre nos équilibres, les affiner. Deux adolescentes qui peut-être vont tracter pour nous. Nous les avons invitées à écouter notre travail pour qu’elles disent si elles auront envie de distribuer des tracts. Camille et Marie. Je les regarde. Je leur adresse ma parole. Nous sommes tous les quatre dans le public. Je vois le regard de Marie vers toi dès que tu commences à jouer et je pense : « elle ne tiendra pas longtemps ». Quelques minutes plus tard, elle se sent mal, boit de l’eau, se reprend. J’hésite à m’arrêter. Je les regarde. Elle a les yeux très grands ouverts. Comme sur un abîme. Je continue. Camille ne me lâche pas du regard. Elle boit le texte. Cinq minutes plus tard, Marie fait un malaise. Elle est submergée par l’émotion. Elle dit que peut-être, c’est la chaleur, ou de ne pas avoir mangé. Nous apportons des bananes. Elle mange. Elle veut rester. Se met au premier rang. Tu préfères que je sois sur le plateau. Tu entends mieux l’équilibre sonore. Quelques minutes plus tard, elle veut sortir. Elle ne tient plus. Les deux très jeunes filles, sortent. Camille dira : « La musique, ça a fait remonter des choses en elle ». Nous continuons sans elles. J’aime te voir dans le public. Je me dis que si le gradin n’était pas si bruyant, ce serait beau que tu sois dans le public, mais je sais que les gens aiment nous voir tous les deux. Je suis pieds nus. Une aisance très familière avec le sol. L’énergie monte de la plante des pieds, et tout mouvement devient une danse. La douceur est là. C’est très beau de te voir seule aussi sur le plateau. Le vide du plateau. Rien d’autre que toi. J’entends mieux l’effet produit par les impacts. J’entends aussi les limites acoustiques de tes déplacements. Il ne faut pas aller trop près, ni trop loin. Alternativement, lorsque nous écrivons, la minuterie s’éteint, se rallume, sans aucune logique. Peut-être un froissement du vent. Alors, par moment, nous sommes dans le noir. Tes mains, ta poitrine et ton visage, très légèrement éclairés par ce qui filtre du clavier de l’ordinateur. Derrière toi, quelques arbres sont ocres, sous la lumière des lampadaires de l’impasse, et aussi, grande masse sombre pointée vers le ciel. Tu as les pieds sur la table. Tu souris. Et la lumière s’éteint. La lune, notre secrète alliée des premiers temps, en est à son premier quartier, blanc. Tous les jours, nous la cherchons. C’est presque à qui la verra le premier. Si pâle, en plein jour. Elle était légère hier. Et soudain, silence. Les cigales se sont tues. Le cisaillement s’est arrêté. Nous sommes prêts pour demain. D’écrire le journal illumine ton visage. Soudain apaisé, tellement apaisé. Il n’y a plus la fatigue qu’il y avait tout à l’heure, ou la lassitude des spectacles que nous voyons, qui nous semblent rater un rendez-vous essentiel. Il nous manque de rencontrer un même engagement. Ici. Ce qui nous avait arrêtés dans la rue, un jour de printemps, devant le centre Pompidou, la puissance inattendue, la singularité radicale d’une voix qui se risquait dans l’espace public, acoustique, sans support, était essentielle. Ici, formatée, grossièrement amplifiée, elle ne dit plus rien. Presque plus rien, à part la performance technique. Alors que ce serait si simple de créer les conditions de l’écoute. Nous passons les uns à côté des autres. C’est peut-être ce qui nous caractérise, toi et moi. Nous ne sommes pas passés l’un à côté de l’autre.

18/07/2018

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