Nous sommes autrement dans le son. Le travail de la veille a agi. Le luxe offert d’avoir travaillé tous les deux alors que c’était relâche. Le son est au bord de l’acoustique. Tu m’as dit : « je t’entendais comme s’il n’y avait pas eu de micro ». Dans les passages les plus doux. L’émotion affleure en permanence, reste en lisière, comme de l’eau qui ne déborderait pas. Je garde la sensation d’un ouvrage très fin. À certains passages, tu vas de plus en plus vite. Je suis presque en apnée par moment. Pendant que je joue, je vois Elise avec qui j’avais pour la première fois abordé Grande Balade et je vois son sourire. Elle reconnaît une langue, des sensations, dans lesquelles nous sommes allées toutes les deux au départ. C’est très étrange cet état de présence au plateau qui peut tout à fait intégrer des éléments extérieurs. Ça ne m’a pas du tout déconcentrée. Je réinterroge cette inquiétude d’être déportée par le public. La question est peut-être de vivre l’espace du plateau comme extrêmement ouvert au dehors, donc il n’y a plus de déport à partir du moment où il y a une sorte d’axe très puissant sur le plateau. Le public est sur le plateau. Ce n’est pas seulement la proximité, ni le fait qu’on le voie, mais la qualité de son écoute le fait être sur le plateau. Tu sais, notre journal devient de plus en plus important pour moi. Il devient aussi une raison d’être ici. Une première concrétisation de notre désir d’écrire à quatre mains. Des territoires s’ouvrent vers l’après Bessette. Il y a du monde. Jeanne, bessettienne découverte, d’un enthousiasme très frais, très juvénile. On va se revoir au colloque. Dominique, si étonné de la différence entre la création en janvier et ce qu’il vient de voir. Alain, qui regrette le trop de lumière dans la salle. Il nous somme de réfléchir à la lumière. On a occulté la question de la lumière. On lui laisse la question de la lumière. Qu’est-ce que tu aimerais voir ? Il dit, très peu, un éclairage très fin, très peu de lumière sur vous, que vous soyez suspendus, dans le rêve. Il ne veut pas voir le dos — très beau, un tatouage — de sa voisine. Lionel nous dira ne pas vouloir voir le rideau de fond. L’émotion d’Elise à la sortie, ses paroles sur la musique, ce que génère l’écriture de la musique qui entre dans l’écriture du texte. Elise autant qu’Alain relèvent, constatent, l’importance du travail qui ne se voit plus mais qu’eux peuvent percevoir, la complexité du travail, la ré-articulation incessante entre les deux textes, celui de la musique et celui du poème. Tu as dit le soir : « c’était une sorte de test avec le public ». Nous étions en audition. Je savais que beaucoup dans le public entendait cela pour la première fois. C’était une nouvelle version. Retour à la maison, au jardin, aux arbres. Fatigue du corps, monumentale. Joie intarissable. Les représentations s’accumulent dans les jambes, dans le dos. Nous devions ressortir pour aller voir un spectacle. Relâche. On est soulagé. On reste, dans la nuit.

19/07/2018

**********

Lire le journal complet : http://judith-productions.com/journal-davignon/