Orage en fin de nuit. Qui traîne dans le matin. Le doute est là. Le doute a la couleur du ciel éteint d’orage. Un cri pesant, sans nuance particulière. Et il pleut. Ce qui va lever le doute, ce sont nos retrouvailles pour l’échauffement. Tout a été très rapide. On était plus tard que d’habitude. Il fallait prendre les cartons de livres du Nouvel Attila à la Mémoire du monde, édition spéciale, collector Avignon. Le poids des livres. Le poids qu’on avait en arrivant. Les livres apportés de Paris, le matériel. Notre librairie ambulante. Hélène Bessette, de la main à la main, de bouche à oreille, sans publicité, sans encart. L’échauffement a été efficace, technique. C’est une vérification. Il faut être prêt. Et à nouveau, une séance d’une légèreté exceptionnelle, au sens où le voyage se fait d’un mouvement qui va avancer du début à la fin, sans labeur, sans effort. À nouveau, j’entends ma voix à certains moments, cristal, une voix que je n’ai pas à dompter, que je ne connais pas, que je découvre, et c’est toujours né de ta musique. Un inconnu au premier rang, d’une présence impressionnante, tendu dans son écoute. C’est presque un partenaire. Derrière lui, une femme brune écoute les yeux fermés, très recueillie. J’aurais voulu savoir qui c’était. Mais nous ne saurons pas. Juste qu’elle est brune et frisée. Plus haut, deux jeunes gens. Et je saurai plus tard que c’est Eléonore, et ça me fera plaisir d’apprendre qu’elle était là pour cette séance si particulière. Je dirai, sur le retour, qu’il y avait plus de douceur. Je veux me rappeler de ce que tu dis. La douceur. Accepter cette douceur. La douceur, c’est aussi moins d’intervention en direction du public. Pourtant, tu étais très proche d’eux. Oui, mais c’est moins de persuasion. Je dois me souvenir, je veux me souvenir de cette douceur. Quand on termine, juste au moment d’aller saluer le public, c’est dans tes yeux que je vois ce qu’a été la représentation. Le journaliste vient nous voir. Il nous attend dehors. « C’est très beau », dit-il. Ces mots donnent une force incomparable. Ça signe quelque chose. Ça confirme quelque chose. Alors, désir de lui offrir le livre, de parler avec lui. Bien sûr qu’il y a l’idée de la critique qu’il va faire, mais c’est plus que ça. Là, quelqu’un dit qu’il a reçu et entendu. Il parle tout de suite de la composition musicale. Demande le nom de la flûte. Tu acceptes de plus en plus que ce soit une composition. Ce mot-là, composer, compositeur, travaille entre nous depuis plus d’un an, mais maintenant, tu acceptes qu’il ait une place. Je compose. J’écris des formules mélodiques. Ces derniers jours, tu modifies des choses, tu précises des qualités, des composantes de ces formules, en terme de puissance, de dynamique. Tu continues d’écrire. Tu intensifies certaines violences, aussi. Ça, c’est rythmique. C’est la pulsation. Dès lors que tu interviens sur cette pulsation, tu modifies l’écriture du plateau. Cette pulsation sur laquelle tu insistes, elle me provoque dans ma parole. Presque sans que j’en sois totalement consciente, mais j’y réponds. Il y a entre nous une telle capacité de réponse. Et je le sais. Je sais que tu entends mieux. Je t’emmène dans la conception musicale, mais rien n’est improvisé. Moi aussi, je veux la pluie, les voix sous-marines, les accords en profondeur, le jazz, la fête, quelque chose de mécanique. Un enchantement se brise.

17/07/2018

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